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République centrafricaine : Ne pas récompenser les chefs de guerre

Les leaders de milices devraient plutôt être traduits en justice

(Nairobi) – Les procureurs en République centrafricaine devraient mener des enquêtes sur les leaders de milices récemment affectés à des postes gouvernementaux.

Le 24 mars, un décret présidentiel a nommé les leaders de groupes armés Ali Darassa, leader de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), Mahamat Al-Khatim, leader du Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC) et Sidiki Abass (aussi connu sous le nom de Bi Sidi Souleymane), commandant d’un groupe appelé Retour, Réclamation et Réhabilitation, ou 3R, à des fonctions de conseillers militaires spéciaux à la primature. Ils ont tous les trois dirigé des groupes armés responsables d’atrocités généralisées au cours des dernières années, dont des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité. Ces postes ont été accordés en guise de concession faite aux groupes armés dans le cadre d’un accord de paix signé en février 2019 à Khartoum, au Soudan.

« La nomination d’Ali Darassa en tant que conseiller militaire pour la région où ses hommes ont peut-être commis des crimes de guerre ne devrait pas être utilisée pour lui conférer une immunité face aux enquêtes sur les abus perpétrés par l’UPC », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Dans ce contexte, les hauts représentants des Nations Unies et de l’Union africaine devraient indiquer clairement à toutes les victimes des abus de l’UPC qu’il ne peut y avoir de paix durable sans justice pour ces crimes atroces. »

Le 15 avril, à Bambari, Ali Darassa, a participé à une cérémonie présentant de futurs éléments des unités spéciales mixtes. Les unités intégreront à la fois des soldats de l’armée nationale et des combattants rebelles. Le secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix, le commissaire pour la paix et la sécurité de l’Union africaine, Smaïl Chergui, et le Premier ministre du pays, Firmin Ngrebada, étaient également présents à cette cérémonie. Human Rights Watch a documenté de graves abus commis par l’UPC depuis 2014, lorsque le groupe a pris le contrôle de la ville de Bambari dans le centre du pays, y compris des meurtres ciblés de civils, des exécutions extrajudiciaires, des attaques contre des camps de déplacés et des viols.

Les combattants sous le commandement de Mahamat Al-Khatim ont commis des crimes de guerre, dont des attaques contre des civils, depuis 2015 lorsque son groupe, qui contrôle des territoires dans le centre du pays, a été créé. Il a été nommé conseiller militaire en charge des unités spéciales mixtes dans la zone du centre nord.

Le groupe 3R de Sidiki Abass a tué des civils, commis des viols et provoqué des déplacements à grande échelle dans la zone du nord-ouest depuis 2015. Sidiki Abass a été nommé conseiller militaire en charge des unités spéciales mixtes dans la zone du nord-ouest.

Les nominations ont été réalisées conformément à un accord de paix, négocié par l’UA pendant 18 mois de pourparlers avec 14 groupes armés et le gouvernement central, souvent alors que les groupes continuaient leurs attaques violentes contre des civils. L’accord cherche à « éliminer définitivement » les causes du conflit et à promouvoir la réconciliation nationale et appelle à l’incorporation de certains combattants des groupes armés dans des « unités spéciales mixtes de sécurité », qui incluraient aussi des membres des forces de sécurité nationales. Les leaders des groupes armés ont promis de mettre fin à « toutes les hostilités et formes de violences ».

L’accord est vague sur les mesures nécessaires pour garantir la justice après le conflit et ne mentionne pas de processus judiciaires spécifiques ni les efforts récents pour promouvoir la justice dans le pays, même s’il reconnaît le rôle que l’impunité a joué dans la pérennisation des violences. La Cour pénale spéciale, un nouveau tribunal au sein du système national mandaté pour juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, a été établie en reconnaissance des cycles d’impunité qui ont nourri le conflit dans le pays et a formellement démarré ses activités en 2018. Le tribunal reçoit un soutien important de l’ONU, y compris la force de maintien de la paix internationale sur le terrain depuis septembre 2014, connue sous le nom de MINUSCA.

Des activistes et des victimes ont exprimé de vives inquiétudes quant à la possibilité que l’accord puisse être instrumentalisé pour exclure toute justice pour les crimes passés.

En 2014, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert des enquêtes sur les crimes commis en République centrafricaine depuis août 2012. La Cour a arrêté deux leaders de milices anti-balaka qui étaient parties au conflit, Alfred Yékatom et Patrice Edouard Ngaïssona, à la fin de l’année 2018.

La crise actuelle a démarré à la fin de l’année 2012, lorsque les rebelles de la Séléka essentiellement musulmans ont évincé le président François Bozizé et se sont emparés du pouvoir par le biais d’une campagne de violences et de terreur. En réaction, des groupes anti-balaka se sont constitués et ont commencé à mener des attaques en représailles contre les civils musulmans à la mi-2013.

Les victimes de crimes commis par l’UPC, le MPC et 3R ont fait part de leur colère et de leur frustration à Human Rights Watch depuis que les nouveaux postes ont été annoncés.

« Comment le gouvernement et la communauté internationale ont-ils pu oser nommer et placer cet homme à une fonction officielle ? », a raconté à Human Rights Watch une victime d’un viol commis par un combattant de l’UPC, âgée de 30 ans. « Comment ont-ils pu promouvoir et valider quelqu’un dont les hommes ont tué, violé, brûlé des villages et torturé la population ? J’ai perdu la force et l’espoir pour tenter de demander justice parce que Darassa est maintenant chargé par l’État de gérer ma sécurité. »

Un homme de 45 ans de Ngakobo, une zone qui a subi des attaques répétées de l’UPC contre des civils dans un camp de déplacés, a expliqué à Human Rights Watch que les combattants de l’UPC avaient menacé les civils de la zone Boykotta au cours des deux dernières semaines. « On nous a toujours dit que Darassa serait jugé, et maintenant la personne dont les hommes nous ont tués est chargée de notre sécurité ? », a-t-il dit. « Ce n’est pas logique. »

En février 2017, Darassa et l’UPC ont quitté Bambari en réponse à une demande de la MINUSCA. Les combattants de l’UPC auraient tiré sur des Casques bleus de l’ONU en 2015, ce qui pourrait constituer un crime de guerre selon le droit international. Des affrontements ont éclaté entre Casques bleus et combattants de l’UPC en janvier 2019 lorsque des combattants de l’UPC ont tué deux policiers hors de Bambari avant une visite du président du pays. L’affrontement a entraîné une attaque de l’ONU contre une importante base de l’UPC à Bokolobo, à 60 kilomètres au sud de Bambari.

Le 19 avril, le gouvernement centrafricain et la MINUSCA ont publié un communiqué de presse indiquant que, bien que Darassa soit conseiller spécial, il ne lui a pas été confié de rôle officiel sécuritaire pour la ville de Bambari. Le communiqué indique également que les unités mixtes, une fois opérationnelles, seront sous le commandement de l’armée nationale.

Des combattants du MPC ont participé à une attaque effroyable en octobre 2016, au cours de laquelle ils ont tué au moins 37 civils, en ont blessé 57 et ont forcé des milliers de civils à fuir un camp de déplacés à Kaga-Bandoro, où près de 7 000 personnes vivaient, après avoir été déplacées suite aux combats dans la région. Les combattants ont détruit au moins 175 maisons dans les quartiers autour du camp de déplacés et ont détruit au moins 435 huttes dans le camp lui-même.

En 2016, Human Rights Watch a documenté le meurtre de dizaines de civils et a reçu des rapports selon lesquels des combattants de 3R ont violé au moins 23 femmes et filles dans la sous-préfecture de Koui dans la province d’Ouham Pendé. Les attaques contre des civils et des organisations non gouvernementales se sont poursuivies au moins jusqu’en 2017.

L’installation d’Ali Darassa à sa fonction officielle à Bambari et les nominations de Mahamat Al-Khatim et de Sidiki Abass sont difficiles à réconcilier avec les principes du Forum de Bangui, les conclusions des consultations nationales organisées en mai 2015, a déclaré Human Rights Watch. Sa déclaration affirme qu’« aucune amnistie » ne serait tolérée pour les responsables de crimes internationaux et pour ceux qui ont agi comme complices. Le forum a réuni plus de 800 représentants d’organisations communautaires et d’autres organisations non gouvernementales, de partis politiques et de groupes armés de tout le pays. Il a reconnu que l’absence de justice en République centrafricaine depuis 2003 était l’une des principales causes des crises successives.

« Le Forum de Bangui a clairement indiqué que la marche à suivre pour obtenir la paix en République centrafricaine consiste à dire non à l’impunité et cela devrait être respecté », a conclu Lewis Mudge. « Ces leaders de milices devraient faire l’objet d’enquêtes en vue de poursuites judiciaires basées sur des preuves et le gouvernement national, l’ONU et l’UA devraient soutenir fortement les efforts pour traduire en justice les principaux responsables de ces crimes et faire de la justice une réalité pour les victimes. »

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